Le père de Miranda, Armand est un théâtreux imbu de sa personne, sûr de son immense talent, le type qu'on ne peut ignorer. Sa compagne, Birke, est une femme magnifique, "une chevelure d’un brun chatoyant", attirante, une actrice non dépourvue de talent, plutôt sur le déclin. Le couple est très amoureux. Leur fille de 27 ans est sans histoire, "la carnation cireuse",toujours "en jean et tee-shirt", peu expansive, timide, introvertie. Elle a vécu une longue et profonde dépression. Selon Birke, elle serait lesbienne.
Quand elle rencontre Swann, un jeune acteur peu doué selon Armand, elle se transforme. Son père ne la reconnaît plus, "la nouvelle Miranda est souriante, sociable, presque trop volubile, par moments. À tel point que Birke s’interroge". Dans la première partie du roman, Armand tente de comprendre qui est sa fille, pourquoi elle est si amoureuse de Swann....
Miranda se raconte ensuite. Hors de leur vue, elle a mené une vie très agitée. Elle boit, se drogue, mène une vie sexuelle débridée. Elle possède le don extraordinaire de pouvoir pénétrer dans le cerveau des gens. Sa grande empathie et sa sensibilité lui permettent d'éprouver leurs sentiments, de connaître leurs pensées, leurs conduites. Ces facultés sont une malédiction, car elle voit au-delà des apparences. Elle connaît les doubles discours, les mensonges, la duplicité des adultes. Miranda voit aussi ce que deviendra sa vie lorsque le désastre écologique deviendra insupportable. Qui sait et s'inquiète qu'elle se soit trouvé un club de 27 âmes sensibles dont les vies ont été trop courtes : Amy Winehouse, Jim Morrison, Jean-Michel Basquiat, Janis Joplin, Kurt Cobain ?
Le roman offre un double point de vue sur une famille dysfonctionnelle où malgré un amour très présent, on ne se parle pas et on cache des secrets. Dans cette famille de comédiens qui ne vivent que par le théâtre, Shakespeare ou Racine, Miranda est un personnage de tragédie. Sa noirceur et son désespoir n'ont d'égal que l'appétit de vivre et l'exaltation des adultes. L'attirance de Miranda pour le club des 27 pose la question de savoir si ces artistes et tous ceux qui ont une sensibilité exacerbée peuvent se satisfaire de vivre dans le monde réel. Comment Miranda ne serait pas épuisée d'être "trop poreuse, trop sensible, trop traversée par la souffrance des autres, trop torturée par le dégoût et par l’amour que m’inspirait l’humanité" ? Le roman
L'autrice s'intéresse au mal-être de la génération des 20-30 ans, à leur difficulté de vivre dans une société d'adultes où règne le matérialisme. Les enfants ont la faculté de rêver, d'avoir des amis imaginaires, de croire aux fées et aux contes. Alors, entrer dans le monde des adultes peut être une insurmontable difficulté.
Le roman est jalonné de références au théâtre qui aident à passer au-delà des apparences, à parler des amours des personnages et de leur sexualité, à dévoiler les faux-semblants et les lâchetés.
Difficile de se détacher de ce roman tragique et noir et de ses personnages attachants. D'autant que la belle écriture de Rebecca Lighieri est ciselée et riche.
C'est en 2019 lors d'un voyage en Nouvelle-Calédonie qu'Alice Zeniter à l'idée d'un roman. En 2022, elle retourne pour l'écrire sur cette île lointaine, à 18 000 kilomètres de la France, à plus d'une journée de voyage en avion.
À cause de cet éloignement et comme de nombreux métropolitains, Alice Zeniter ne connaissait pas la Nouvelle-Calédonie, elle s'est documentée, ce qui lui permet de pouvoir décrire toute la complexité de cette île et de ses habitants, l'impact de la colonisation..
Après des années d'absence et une rupture amoureuse avec un métropolitain, Tass revient sur le Caillou pour enseigner le français. Elle revient sur son île, là où sont ses racines. Mais elle a quelques difficultés à trouver sa place.
Elle dont la mère est métropolitaine, est-elle blanche ou métis ? Car on peut être "Blanc-blanc, pour distinguer les Blancs-uns des Blanc-autres, des Blancs pas blancs" ou "pur métis". Quelle est son identité ?
L'enseignante se prend d'intérêt pour deux lycéens, Pénélope et Célestin. Elle trouve celui-ci très beau, jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'ils ont le même visage puisqu'ils sont jumeaux. Elle réalise que le regard que l'on porte sur les gens, sur les choses est un regard construit qui n'est pas toujours exact. Tass a choisi d'étudier L'île des esclaves de Marivaux, puisqu'il n'y a pas d'écrivain kanak. Les deux jeunes reprochent à Marivaux d'avoir "un rêve si petit, alors qu’il aurait pu créer n’importe quoi sur cette île imaginaire".
Les deux jumeaux s'absentent du lycée. Ils rejoignent un trio de jeunes kanaks indépendantistes. Enfants des villes, pourront-ils vivre "en brousse" comme des kanaks ? S'ils gagnent l'indépendance, puisqu'ils ne parlent pas la langue, qu'ils ne connaissent pas la coutume, ils ne sauront plus habiter sur leur terre et vivront comme des Blancs. Ce qui jette un doute sur la possibilité d'une indépendance gagnée par les kanaks. Inquiète, Tass part à leur recherche.
Le trio pratique "l'empathie violente". Il s'agit de déranger des objets dans les maisons, ou de dépenser des sommes dérisoires avec la carte bancaire dérobée, pour troubler les volés, pour leur faire ressentir que la dépossession est absurde, "Car les Blancs ne nous ont pas pris nos terres parce qu’ils en avaient besoin : ils les ont prises pour en faire un bagne ! Ils sont arrivés ici et ils ont dit : c’est un paradis, nous en ferons une colonie pénitentiaire".
À la recherche des jumeaux, Tass vivra une expérience curieuse, parfaitement irrationnelle, qui lui fera prendre conscience de ses origines. Dans son œuvre, c'est la première fois qu'Alice Zeniter recourt au merveilleux.
Lors de son premier voyage dans l'île, l'autrice a appris que des Arabes, surtout des Algériens, dont des Kabyles originaires de villages proches de celui de ses arrières grands-parents, ont été envoyés au bagne. Elle a retrouvé la liste de ces 2106 bagnards. "Peut-être sommes-nous cousins" lui ont dit des descendants. Cette proximité inattendue colore le personnage de Tass.
Alice Zeniter réussit l'exploit de faire comprendre la complexité de la Nouvelle-Calédonie dans un texte documenté sans jamais quitter le genre romanesque. Elle le fait sans négliger les parti-pris politiques, le positionnement de la France, sans négliger le côté douloureux de cette histoire. Son écriture est tour à tour sérieuse, précise, questionnante, légère, avec des pointes d'humour. La lecture est agréable, c'est presque un page-turner !
Admirable.
En mai 2022, Amélie Nothomb revient au Japon, accompagnée de Pep, une amie photographe à qui elle sert de guide.
Elle revient dans ce pays qu'elle aime profondément, où elle a vécu jusqu'à l'âge de cinq ans avant que les affectations de son père l'en arrachent.
Elle nous conduit dans divers endroits de Kyoto puis de la gigantesque Tokyo. Elle est nostalgique de ce qu'elle a vécu au Japon pendant ses jeunes années et peut être très émue lorsqu'elle retrouve sa nounou sur les lieux de sa petite enfance, lorsqu'elle évoque un précédent voyage avec son père en 1989, lorsqu'elle se trouve devant le mont Fuji. Il arrive qu'elle soit émue ou attirée par un détail qui pour nous, occidentaux, comme Pep, n'a pas de sens. Elle connaît et aime la culture japonaise, leur mode de vie, leur conformisme, leur discipline et telle une japonaise, s'étonne que Pep aille dans les toilettes pour homme, ça ne se fait pas au Japon...
Elle n'oublie pas de citer ou évoquer quelques auteurs, dont le philosophe allemand Friedrich Nietzsche à propos de son concept du retour du même.
À la différence de nombre de ses autres livres, on ne trouvera pas ici de moments déjantés ou irrationnels. Amélie Nothomb manie toujours bien l'humour et sait se moquer d'elle-même. Son roman est moins brillant, moins clinquant que d'autres. Il est mélancolique, intime. C'est un carnet de voyage dans "son" Japon et dans sa vie qui montre l'espoir déçu d'un retour qui lui aurait permis de revivre ses émotions et joies qu'elle a connues lorsqu'elle était enfant.
"Tout retour est impossible" dit-elle, tout retour à la vie d'avant est impossible.
Dans la petite ville de Mercy, "une ville calme, endormie presque", Leo, une jeune adolescente de 17 ans a été retrouvée morte au bord de l'eau. La shériff Lauren Hobler mène l'enquête. Elle interroge les proches de la victime, Emmy, la fille d'un banquier qui a beaucoup aidé Seth, le père de Leo, à garder son garage. Emmy et Leo sont depuis l'enfance, des amies inséparables. C'est Sean, l’arrogant et prétentieux shérif-adjoint qui arrête Benjamin Chapman, le professeur de français au passé trouble. Une arrestation injustifiée qui nuira beaucoup à Chapman. Dans cette petite ville de Mercy, il ne se passe rien, la criminalité est au plus bas, tout se sait et les habitants semblent n'avoir aucun secret. Pourtant, trouver le meurtrier de Leo va se révéler complexe.
"Les Âmes féroces" est un roman policier noir, avec une composante psychologique marquée. Au cours de quatre saisons, quatre personnages vont tout dévoiler de leurs vies, leurs secrets, des inimitiés, leurs amours, leurs espoirs, leurs passions. Quatre saisons et quatre ambiances.
L'ambiance policière et généreuse de la shériff dont on n'aime pas qu'elle soit lesbienne. Amoureuse de Janis, une femme à qui son ex-compagnon a mis le feu. Janis qui "ne peut avoir mieux" que Lauren selon le maire qui n e l'aime pas.
L'ambiance beaucoup plus littéraire pour Benjamin Chapman, le prof de français charismatique et prétentieux auquel Emmy et Leo rendaient visite pour des emprunts de livres ou des cours particuliers.
Une ambiance de journal intime où Emmy nous dit tout de son amitié avec Leo, de son envie de sexe, de sa focalisation sur leur professeur, de sa famille et de celle de Leo, de tout ce qu'elle sait et qu'elle garde secret.
L'ambiance profondément désespérée, froide comme l'hiver, pour les sentiments de Seth, le père de Leo, garagiste ruiné que n'a pas voulu sauver le père d'Emmy, son banquier, abandonné par sa femme et par les habitants de la ville, pour qui Leo est sa raison de vivre et qui ne peut imaginer qu'elle puisse un jour s’émanciper et partir loin.
Marie Vingtras excelle dans cette description des aspects les plus sombres et les plus vils de l'âme humaine, qui correspondent à une grande part de l'image viriliste et brutale que l'on peut avoir de l'Ouest américain. C'est le roman, pourrait-on dire, de l'Amérique de Trump, bienvenu en cette période électorale.
L'écriture est très maîtrisée et visuelle. La construction rigoureuse et précise empêche le lecteur d'oublier le suspense de l'intrigue qui semble passer à l'arrière-plan des noirs sentiments des personnages. On pourrait décrocher, on ne le fait pas car, page après page, des précisions s'ajoutent pour amener le dénouement tragique et nous faire dire "mais bien sûr ! Pourquoi n'y a-t-on pas pensé".
Pathétique et féroce.
Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques
De Iain Levison
Traduit par Emmanuelle Aronson, Philippe Aronson
Liana Levi
Alors que l'avocat Justin Sykes va quitter le bureau du procureur Dick Farrell, celui-ci lui propose de rencontrer un intermédiaire qui veut lui proposer une affaire. Il s'agit de travailler pour Marcus, le patron d'une boîte de striptease connu comme dealer, dont les filles ont besoin de conseils juridiques. Une heure par semaine et une nuit dans son motel pour un salaire de mille dollars. Avocat spécialisé dans l'aide juridictionnelle qui ne lui assure pas de gros revenus, Justin Sykes accepte.
L'avocat traite en même temps une affaire où un sans-abri a volé une bouteille de spiritueux. Il tente de négocier un accord avec le procureur qui veut six ans de prison ou, si l'avocat refuse la proposition, un procès où l'accusé risque d'en prendre pour dix ans. Sykes est surpris de son comportement inhabituel. Il se demande quelle est l'embrouille, car il y en a une...
Ian Levison nous entraîne à découvrir quelques mauvais côtés du système judiciaire américain : la négociation de la peine entre l'avocat et le procureur, le statut d'élu du procureur qui doit faire campagne. Il est clair que selon que l'accusé est un pauvre hère ou un entrepreneur puissant, si le procureur est en campagne électorale ou non, le jugement ne sera pas le même.
Les personnages que crée Ian Levison ne sont pas des héros, ce sont des gens simples, contraints par leurs conditions de vie, par leur travail. Même le procureur qui doit se faire réélire n'est pas libre de ses décisions ! S'il porte un regard noir sur un monde injuste et sans éthique, il le fait avec humour, empathie et une tendresse non feinte. Son texte assez court va droit au but, dénoncer la violence du système social et sa perversité.